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09 mars 2011

Qu'est-ce que l'Ultralibéralisme ?

On entend dire ici et là, à l'occasion de débats sur la crise économique que "l'ultralibéralisme" n'existe pas. Il s'agirait d'un néologisme inutile, un terme de propagande, une fantaisie du langage utilisée à tord par quelques idéologues arriérés, marxistes ou extrémistes peu soucieux d'exactitude et de science. Des propagandistes mal-intentionnés et mal informés qui négligent la réalité et notamment qu'il existe de fait un marché mondial qui est le lieu d'échange de nombreux types d'économies, dont le national-communisme chinois, mais dont aucune ne peut être qualifiée totalement de "libérale", encore moins "d'ultralibérale".

Je ne le crois pas. Au contraire je pense que le terme "ultralibéral" est tout à fait identifiable et souvent utilisé à bon escient.

Qu'est-ce que l'Ultralibéralisme?
Pour répondre à cette question il faut peut-être revenir au terme "libéralisme" et démontrer en quoi l'ultralibéralisme en diffère.

Le mouvement "libéral" est porté à l'origine par des libres penseurs qui considèrent que les droits et libertés de l'individu contribuent au progrès de la société. Il s'agit de droits individuels d'ordre civil comme la liberté de croyance ou de culte, le droit de propriété, la liberté d'initiative, de circulation, etc. Mais aussi de droits politiques comme le droit à l'information, de libre expression, de réunion, de pétition, de vote, de service militaire, etc.

Face à leur opposants républicains ou conservateurs qui dénoncent le désordre, l'anarchie qui suivrait la reconnaissance politique et juridique de telles libertés, les libéraux démontrent que la liberté qu'ils proposent contribuerait au développement et à la prospérité de la société. Ils insistent sur la responsabilité de l'individu de respecter les lois et de répondre des abus devant la justice selon "the due process of law"* Traduisible par "le cours normal de la justice" ou "les formes prescrites" (dans le respect des droits de la défense, sans abus de pouvoir, arbitraire, ou condamnation "pour l'exemple").
C'est ainsi qu'Adam Smith titre son ouvrage "An Inquiry into the nature and the causes of the wealth of nations" (Enquête sur la nature et les causes de la richesse des nations). "Pour Smith ce qui est sage pour le chef de famille ne peut pas être une folie dans la gestion d’un empire."

C'est adroit et cela incite ses ennemis conservateurs à penser que la liberté d'entreprise et de commerce n'est pas contraire mais favorable à l'intérêt de la nation.
Cette idée des libertés et des droits devient alors compatible avec l'ordre public et la défense de l'intérêt général. On la retrouve dans l'article 1er de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 :

"Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune"

Le droit individuel étant ici placé en bonne place dans un role de sauvegarde de la nation. De la même manière les Etats-Unis adoptent en 1791 le Bill of Rights/ déclaration des droits, qui sont les 10 premiers amendements de leur Constitution.

A ce moment le droit individuel n'exclu pas le pouvoir de la loi, ni les raisons d'ordre public. Ce sont des termes qui émaillent le discours libéral (tous tirés du Bill of Rights ou de la Déclaration de 1789) et qui en sont comme exceptions qui confirment la règle de la liberté : la "sécurité d'un État libre", "règles fixées par la loi", "mandat de perquisition sur motifs plausibles", "en temps de guerre, ou de péril public", "l'utilité commune", "souveraineté nationale", "actions nuisibles à la société", "volonté générale", "trouble à l'ordre public", "répondre de l'abus de liberté", "force publique", "contribution commune indispensable", "nécessité publique", etc. Ce sont des termes couramment utilisés par les conservateurs mais qui, introduits dans le discours sur la liberté et les droits, offrent des limites et des garanties contre l'abus de liberté, de sauvegarde de l'ordre public. Ceci en signe de conciliation et de solution négociée entre les deux parties.

Ainsi la nouvelle règle s'énonce : "La liberté n'est pas la licence du vice. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ni a la société"
(c'est un recul évident par rapport à la regle chrétienne d'amour, de bienveillance et du service désintéressé envers autrui; un autre débat...)

Sur le plan strictement économique les libéraux vont obtenir la reconnaissance pour l'individu ordinaire du droit de propriété, de la liberté d'initiative, de circulation (passeport), d'entreprise et de commerce (les chartes commerciales n'étaient délivrées anciennement que pour des sociétés autorisées) avec pour contrepartie la perspective de contribuer au développement et à la prospérité de la nation.

Malheureusement on va voir très vite que les libéraux ne s'en tiennent pas là. Ils abusent rapidement de leur position influente grace à leurs facilités sociales, financières et beaucoup d'astuce.
Ils avancent l'idée selon laquelle si l'Etat s'enrichit du fait de la fortune des particuliers, c'est par la fiction d'une "main invisible" qu'il est inutile de chercher mais dont on doit attendre l'action dans une attitude quasi-bouddhique de "laisser faire, laisser passer".
Ricardo par exemple émet une thèse énorme, ridicule, insoutenable : démontrant un avantage non plus « relatif » mais « absolu » en faveur du libre-échange. La question qui se posait était : « Qu’arrivera-t-il à la nation qui, s’engageant sur la voie du libre-échange, ne dispose d’aucun « avantage absolu » ? En des termes simples, que produira-t-elle si les nations avec lesquelles elle commerce produisent tout avec plus de facilité qu’elle ne le fait ? Ne risque-t-elle pas de voir toute son industrie disparaître ? » (1)
L’objet de la théorie de Ricardo, exposée dans « Des principes de l'économie politique et de l'impôt », est de répondre à cette question en affirmant que même la nation la plus désavantagée accroîtra sa richesse, si elle opte pour le libre-échange."

C'est cela l'ultra-libéralisme. C'est d'abord un abus de la rhétorique qui jette le doute dans les esprits et assassine prestement le bon sens par des formules spécieuses, ensuite l'abus de la liberté économique sans souci de respecter le contrat social qui impose d'agir sans nuire. C'est l'usage de la liberté industrielle, commerciale ou financière sans responsabilité sociale correspondante, avec le souci constant de retarder, contrarier, interdire l'intervention régulatrice et souveraine de l'autorité publique.
On reconnait les ultra libéraux à ce projet.

Leurs principes sont toujours les mêmes et on les retrouvent partout à l'Organisation Mondiale du Commerce, dans le Traité de Giscard (TCE) ou chez Alain Minc :

  • "Concurrence libre et non-faussée". Sous-entendue "faussée" par l'intervention de l'autorité publique susceptible de placer des barrières tarifaires, des quotas, des conditions de réciprocité, etc. à fin de régulation des flux et de stabilisation économique.
  • "Liberté de circulation des capitaux". Ce qui est aussi la circulation de machines et finances pour délocaliser, profiter de l'effet d'aubaine du dumping commercial et spéculer sur toutes sortes d'effets commerciaux, les devises ou les matières premières.
  • "Autorégulation du Marché par la libre rencontre de l'offre et la demande". Sans tenir compte que sur le marché la monnaie n'est toujours qu'accumulée par les agents qui disposent de moyens d'information, d'économie d’échelle importante et de position dominante au détriment des agents plus faibles aux moyens réduits condamnés à terme à l'insolvabilité et à la faillite. (2)
Enfin peu importe ce qui doit se passer, peu importe les résultats de tant de libertés... L'important c'est la liberté en elle-même en tant qu'absolu et non en tant que moyen de parvenir à un résultat.
Alors que les libéraux anciens partaient de l'idée qu'une liberté procure un avantage réel, ne saurait dépasser les bornes de l'utilité publique, ni nuire à la société ; qu'elle était relative à l'avantage réel produit. Les ultralibéraux se moquent des conséquences : chômage, déficits publics, déflation, désindustrialisation, misère et précarité accrues ne sont jamais de leur fait mais du fait que l'on ne comprend pas l'économie libérale, qu'on manque de zèle à appliquer intégralement les règles éternelles et salutaires qu'elle impose... Ils exigent une liberté absolue, indépendante de toute autre considération, dont la conséquence immédiate, naturelle, est la soumission parfaite de la nation à un "nouvel ordre mondial" de plein gré ou par la ruse et la force !

Ce qu'ils ne veulent surtout pas c'est qu'on bloquent leurs spéculations, qu'on suspende leurs libertés pour péril public, qu'on confisque leur enrichissement sans cause, qu'on les traîne en justice pour répondre de crimes économiques.
Ce sont des irresponsables.

Des irresponsables qui sont partout en situation d'imposer leurs choix et de diriger l'ordre du jour par leurs consignes. Tel un Robert Zoellick de la Banque Mondiale par exemple.

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(1) "Sarkozy veut continuer à améliorer la compétitivité de la France" Octobre 2010

(2) "Le dialogue des sourds : reflexions sur les aspects positifs et négatifs du marché" Décembre 2006