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12 juillet 2012

Sortir de la recession : des modèles économiques (3)

3. Des modèles économiques
Pour comprendre le fonctionnement économique d’une société, il est nécessaire de partir du plus simple pour aller vers le complexe. Historiquement le procédé est aisé puisque les premières sociétés fonctionnent sur des modèles rudimentaires. Ce n’est que peu à peu, suivant l’évolution culturelle et les influences, que les schémas économiques changent pour s’adapter aux contraintes et intensifier les relations ; dans l’intérêt de passer d’une situation de survie à celle d’une prospérité souvent relative et menacée par des crises qui sont autant de nouveaux défis.
De l’aube de la civilisation humaine quand la relation des groupes humains avec leur milieu se caractérise par une simple prédation, en passant par les cité-états qui organisent l’agriculture, l’artisanat, le commerce puis s’unissent en nations souveraines, jusqu’à la nouvelle mode de «globalisation» ; différents modèles ont émergé, se sont juxtaposés et combinés pour former des systèmes fonctionnels évolués mais toujours fragiles. La recherche d’un équilibre subtil, entre la mise en valeur des ressources naturelles et l’apaisement des conflits internes, exige une réflexion permanente, une prise de conscience suivie d’actions collectives mesurées et utiles.
3.1 De la proto-histoire au mercantilisme  : évolution historique de l'économie
Le but de l’association politique étant l’accroissement de la population et le bien-être de ses membres, comme l’écrit Rousseau, on observe au cours des périodes d’évolution sociale et économique, avec la création de surplus, une augmentation régulière de la démographie. Ce processus autorise des effets de coopération et de synergie, une libération progressive des contingences ordinaires vers d’avantage de bien-être, de loisirs, de créativité et d’invention. Dans ce cycle vertueux se distingue un modèle général de la civilisation.

3.1.1 Le modèle préhistorique
On utilise souvent le terme «préhistorique» pour railler le caractère primitif d’un projet ou d’une technique. Or l’organisation sociale et économique semble plus complexe que l’on s’imagine. Au cours de la préhistoire le modèle socio-économique se caractérise par la présence de groupes humains de taille réduite, quelques familles parcourent un espace au gré des saisons à la recherche de ressources pour leur survie. «Les travaux des archéologues préhistoriens ou des paléthnologues montrent au contraire le savant et complexe jeu d’interactions que cela suppose, lesquelles sont inscrites dans un calendrier saisonnier précis, régies par des habitudes immémorielles, façonnées par l’expérience d’ancêtres ayant acquis une somme de savoir-faire, de gestes, de techniques transmises par le groupe ou apprises au contact de voisins innovants.»1
Les recherches sont toujours en cours sur cette période prodigieusement longue2 qui promettent de belles découvertes. On devine déjà le schéma qui peut être tracé sur ce modèle. Ces familles entrent en interaction, partage une certaine culture et un ensemble de techniques, puisent dans leur environnement subsistances et matériaux, suivent des pratiques coutumières telles de migration saisonnière, d’échange de bon voisinage, d’alliance matrimoniale, etc. Un mode de vie qui se caractérise par une extraordinaire stabilité, tout en laissant une empreinte très faible sur son environnement. Cependant la précarité et la modestie de cette formule, qui permet il faut le noter une expression artistique de haut niveau, un rayonnement culturel étonnant, ne permet pas d’expansion démographique. L’occupation du territoire ne dépasse jamais la densité moyenne de 0,03 habitant par Km² jusqu’au Néolithique.3
Certaines études sur le territoire, les coutumes, les sources de subsistance ou les relations sociales de ces clans sont assez poussées pour qu'il soit permis de dessiner un modèle. Avec les cultures préhistoriques qui ont survécu nous découvrons un panorama complexe ; par exemple ici le modèle territorial d'une tribu Américaine.4 


Illustration 1: Modèle du territoire clanique des Pehuenches dans la seconde moitié du xvie siècle
Dans cette esquisse d'un modèle économique pré-historique on s’aperçoit que les alliances, l'entraide et les échanges culturels ou commerciaux claniques jouent un grand rôle. Cette opportunité de mise en relation sociale associée à des déplacements fréquents ou saisonniers permettent l'adaptation culturelle et la survie du groupe humain dans un environnement souvent difficile. Il s'agit d'un modèle économique complexe à la fois régi par des coutumes anciennes mais aussi pragmatique, voir opportuniste.

On notera aussi les survivances de ce modèle clanique et coutumier dans les époques ultérieures : la solidarité du groupe familial, les migrations saisonnières, les pratiques de chasse collective ou de cueillette, la médecine traditionnelle ou chamanique, etc. qui subsistent encore à notre époque moderne et dont on ne peut ignorer ni l’origine, ni l’utilité, ni la force et le pouvoir intime de fascination.
On reconnaît la survivance et la stabilité de ce modèle par son intégration déterminante dans les formes de sociétés plus évoluées. Par exemple dans les familles patriciennes, les maisons régnantes ou les familles mafieuses. Dans la mesure ou ces familles élargies maintiennent une forme de prédation sur leur milieu grâce a une organisation et aux hommes de mains (réflexe de coopération des chasseurs) et par le prélèvement (de type cueillette) des taxes, loyers et autres revenus plus ou moins licites. Ceci sans véritablement contribuer de manière positive à l'amélioration des conditions de vie ou participer socialement à la mise en valeur de l'environnement ; contrairement à d'autres formes ultérieures de coopération sociale, telles que la communauté villageoise, religieuse, urbaine, professionnelle, etc. Elle constitue toutefois une référence dont il faut savoir reconnaître les valeurs, la stabilité, le dynamisme et la capacité d'adaptation, pour mieux distinguer les moyens de son intégration sociale, économique et politique en vue de l'utilité commune.

3.1.2 La révolution néolithique
Elle débute vers -10.000 avant J-C. avec les innovations majeures du pastoralisme et de l’agriculture. C’est un bond dans l’évolution culturelle puisque désormais l’humain n’est plus strictement dépendant des circonstances et simple prédateur de son milieu. Il se permet de l’aménager à sa convenance, de domestiquer des espèces pour produire selon ses besoins. Au lieu de seulement tailler des pierres, façonner des outils, graver ou peindre des figures, il se rend compte qu’il peut aussi façonner le paysage, construire des enclos, planter des graines de fruits, de céréales, creuser des canaux, modeler l’argile et cuire la poterie pour gérer activement ses ressources et faire des réserves. Il dessine alors des plans et anticipe une stratégie pour améliorer ses conditions de vie.
Ce nouveau modèle socio-économique se distingue par la sédentarisation d‘une part sous forme de petites communautés villageoises autonomes et de taille réduite (env. 50 individus) qui d’autre part essaiment peu à peu autour d‘elles au gré du désir de certains groupes de chercher ailleurs un nouveau lieu de vie. On le voit dans les communautés chasséennes d’origine asianique en France.
Ce modèle parait s’accompagner d’une forme de culte de la fécondité puisqu’on retrouve souvent des statuettes de déesse-mère. Ce qui fait dire que l’on se trouve dans un système social matriarcal où l’image du chasseur primitif ou du guerrier improductif, turbulent ou absent est peu valorisée.
Il semble que ces communautés isolées organisent de grands rassemblements. Ces rassemblements, peut-être sous la forme de cérémonies saisonnières dans des lieux considérés comme sanctuaires, semblent l’occasion de chants, de danses, de repas communautaires de type potlatch5 ou permettant d'offrir ou partager les surplus. On retrouve encore des enceintes6 qui contiennent de nombreux objets de céramiques, d’or, etc. Ces lieux de rassemblements cultuels sont aussi culturels et sociaux puisqu’ils permettent les rencontres, les échanges, des alliances entre communautés. Les technologies nouvelles se répandent comme la fonderie des métaux, or, cuivre puis bronze, etc. Cette diffusion technologique du Chalcolithique s'opère en Eurasie depuis le plateau anatolien vers l’Orient, le Danube et les cotes de la Méditerranée.
Ce nouveau modèle économique de subsistance basé sur l’agriculture et l’élevage semble attractif pour les clans de chasseurs-cueilleurs qui s’y associent. La démographie augmente alors significativement passant sur le territoire français d’une densité estimée de 0,015 hab/km² vers 20.000 av J-C à 2 hab/km² au début du IIIeme millénaire.
Ce modèle subit trois mutations importantes :
  1. Le renforcement du principe religieux lorsque des temples sont érigés sur les lieux sanctuaires ou de pèlerinage. Pour le service de la divinité est organisé un clergé qui administre un vaste domaine, organise le stockage et la redistribution des produits, garde les offrandes précieuses, les trésors du temple. Ce modèle religieux fait du temple une entité économique à part entière, auto-suffisante et régulatrice.7 Il est permis de voir dans cette institution la première forme d’entité économique évoluée. Il s’apparente au modèle de caisse mutualiste, d’assurance sociale ou d’entreprise collective. Après les invasions barbares, les monastères joueront un rôle civilisateur semblable dans les campagnes au début de l’époque médiévale. 
  2.  L’émergence d’une société patriarcale où le rôle et l'image du guerrier protecteur ou conquérant est valorisé. Avec le bronze et l’équitation, un nouveau pouvoir militaire impose son autorité sur de larges espaces et il devient difficile de s’y soustraire. 
  3.  La constitution de la Cité-état et de son territoire économique. Les surplus agricoles permettent l’urbanisation, une spécialisation de l’artisanat, un développement des échanges commerciaux. L’Écrit utilisé primitivement dans le rituel religieux et la comptabilité des entrepôts des temples, sert alors à fixer les coutumes et les lois, rédiger les règlements, rapports et décisions administratives ou les contrats d'échange. Avec l’autorité royale ou civile, les systèmes de poids et mesures, d’étalon monétaire et de fiscalité sont institués. C’est le début de la période historique.
La représentation de modèles économiques proto-historique est l'objet d'un débat actuel entre chercheurs. « l’évaluation de ce paysage en fonction de caractéristiques spécifiques aux activités de culture, d’élevage et de chasse-cueillette, en leur attribuant des valeurs de rendement. Cette notion de rendement (ou d’utilité) résulte d’une combinaison d’éléments environnementaux et de modes d’utilisation humains spécifiques. En effet, un paysage n’est pas utile dans sa globalité, mais l’est localement à travers une certaine activité. Des valeurs de rendement pour les zones environnementales ont été déterminées pour évaluer la façon dont les stratégies économiques, adoptées par les groupes néolithiques, se traduisaient dans le paysage étudié. »8
 

 Diagrame 1: Cadre théorique et traduction en méthodologie SIG

Celui que nous proposons (Diag.2) reflète la complexité des interactions dans une société proto-historique. L'intérêt de ce modèle est qu'il ne se limite pas au cadre d'une étude ponctuelle - isolée dans le temps et l'espace - mais offre la structure dynamique de base, la logique socio-économique qui s'applique en se diversifiant à toutes les sociétés ultérieures qui en hériteront.


Diagramme 2: Modèle socio-économique de communauté néolithique

Il faut noter une sorte d'ambivalence entre Culture et Nature:
  1. premièrement l'effet de causalité fait dépendre la survie et la prospérité de la société de sa capacité d’acquisition de technique adaptative, et donc d'ouverture culturelle. Cet apprentissage et l’application de nouvelles solutions expérimentales permettent de dépasser a posteriori une situation d’échec et de crise, d'assurer des ressources de subsistance, voir de prospérité et développer des acquis.
  2. Mais un effet-miroir place la Culture comme autre Nature. C'est donc d'avantage le respect des traditions culturelles qui prévaut. Un consensus social, des rites et cultes accompagnent et supportent les nouvelles activités sociales et économiques. La soumission ou la transgression aux règles sociales et religieuses déterminent alors a priori la prospérité ou la rupture de l'harmonie entre humanité et nature.
Alors que le sanctuaire devient le lieu de polarisation et de rassemblement des premières sociétés, qu'il continue d'offrir les représentations mythiques et les rites saisonniers, il organise aussi la vie collective. Il éduque la jeunesse, contrôle, autorise ou écarte les nouvelles influences culturelles et techniques, cautionne les réformes ou dénonce les « hérésies ». L'influence des autorités religieuses ne sera pas remise en cause avec l’émergence de l'autorité civile et militaire ; qui s'attacheront plutôt à se concilier les faveurs du clergé pour renforcer leur emprise et influence politique sur les communautés. Quelquefois jusqu'au point de faire de la figure du chef d’État, le représentant de la divinité ou le gardien du culte. 

La culture néolithique et sa diffusion a partir du Moyen-Orient par sa capacité à communiquer ses innovations et l'attractivité de son modèle reste un sujet d'étude passionnant. 
Il serait trompeur d'en faire un modèle archaïque car en bien des points les premières cités-Etats démontrent un niveau d'organisation surprenant de "modernité". La gestion économique de la 3ieme dynastie d'Ur [9]  vers 2000 av. JC  par exemple démontre un souci d'excellence d'administrative que l'on ne retrouve jamais aussi poussée dans les civilisations suivantes. L'étude du Code d'Hamourabi ou des textes égyptiens nous permet d'améliorer notre conception des enjeux de sociétés complexes, aussi bien sujettes aux crises qu'a des périodes de prospérité. Les dogmes, les institutions et les processus d'adaptation de ces sociétés  mériteraient d'être encore mieux valorisés. 
Mais l'avènement de la technologie du Bronze puis du Fer nous invite déjà à aborder l'age classique de la Grèce et de Rome pour décrypter les traces mystérieuses de leurs modèles économiques.    
 
1 J. Jaubert et A. Delagnes — De l’espace parcouru à l’espace habité au Paléolitique moyen. Les Néandertaliens, Biologie et cultures
http://ubordeaux1.academia.edu/DelagnesAnne/Papers/1120827/De_lespace_parcouru_a_lespace_habite_au_Paleolithique_moyen
2 Si on admet l’apparition de l’homme moderne il y a 150.000 ans, l’époque antérieure au Néolithique couvre 92% de cette période. Si on prend comme repère l’apparition du genre Homo il y a environ 2 million d’années la période paléolithique représente 99,4% de l’existence humaine.
3 «environ 8-10 000 habitants entre 40 000 et 20 000 av. J.-C. (soit 0,015 hab/km²)"Évolution du nombre d'habitants sur le sol français
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89volution_du_nombre_d'habitants_sur_le_sol_fran%C3%A7ais
4 Vincent CLÉMENT Peuple de la forêt, peuple de la frontière Identité et territoire des Indiens Pehuenches dans l’ancienne marche araucane (Chili,xvie-xxie siècle) Lire les territoires des sociétés anciennes
5 Potlatch http://fr.wikipedia.org/wiki/Potlatch_(anthropologie) On observe cette institution en Amérique du Nord mais aussi sous d’autres aspects en Mélanésie ou les offrandes de villages à villages sont comptabilisées et enregistrées par le transport de grosse pierres qui sont une monnaie locale.
6 Dépot Votif : Ensemble d'objets, offert et déposé à l'intention d'une divinité
7 Dans l’Égypte ancienne, les terres arables - principales sources de richesse dans un pays aussi aride - appartiennent principalement à deux entités administratives : l’administration royale ou les temples. Les opérations de constructions étaient bien souvent accompagnées de dons de terres, de biens de consommation courante, etc. faisant du temple un maillon essentiel de l'économie égyptienne. Les paysans qui cultivaient les terres appartenant aux temples devaient céder une importante partie de leur production à l’administration de celui-ci. Une grande partie de cette production était transformée dans les ateliers du temple avant d’être proposée en offrande au dieu local. Ce dernier, ne se nourrissant que de la partie invisible des mets, laissait de grandes quantités de biens qu’il fallait redistribuer, d’abord aux prêtres et personnels du temple, puis aux égyptiens. Ce rôle économique impliquait l’abondance de bâtiments dans l’enceinte du temple afin de faire fructifier ces richesses, de les transformer, de les administrer, de les stocker, etc. Parmi ces industries, on dénombre des boulangeries, des brasseries de bières, des abattoirs ainsi que des ateliers de tissages, d’orfèvrerie, etc. Les Temples d'Heliopolis disposent de 12,963 hommes, 45,544 bestiaux, 441 Km² champs, 1032 bourgades, navires, jardins, chantiers etc. http://temple.egyptien.egyptos.net/ensal/Presentation_Temple.pdf
8Doortje Van Hove La reconstitution d’un paysage socio-économique au Néolithique en Calabre méridionale Les apports d’une démarche SIG (Systèmes d'information géographique) pour l’analyse socio-économique des paysages néolithiques. 2004 voir : http://isa.univ-tours.fr/pages/bibliographie.php 
[9]  http://fr.wikipedia.org/wiki/Troisi%C3%A8me_dynastie_d%27Ur