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13 mai 2016

Réponse à "La confusion qui s’étale" selon L'Observatoire Des Réseaux


Commentaire à l'article "La confusion qui s'étale", toujours "en attente de modération" depuis le 30 avril 2016.

On est pas sortis de l’auberge espagnole! Ce qui serait drôle c’est qu’on n’est pas trop ambitieux pour « refonder à Gauche » [1] : « la lutte antifasciste, qui, sans sombrer dans un front uni à tout crin [On en est loin!] nécessite tout de même face à l’ennemi commun qu’on mette un peu au second plan les querelles de chapelle. » L’intention est louable mais l’objectif tout a fait irréaliste pour au moins deux raisons, l’une clanique et l’autre de philosophie politique.
1. L’Etat de délabrement de la gauche dite « radicale » est manifeste. J’ai bien peur que votre article généreux n’y change rien. Il y a un reflexe clanique qui s’est implanté dans toutes ces organisations politiques, sous le contrôle superviseur d’un régime bourgeois qui distribue prébendes et sinécures à quelques « heureux élus ». Dès lors il s’agit simplement d’être le Guru de sa petite chapelle et pouvoir jouir du pouvoir exaltant d’exclure tous ceux qui ont un peu de jugeote, ceux qui pourraient contredire les déclarations Urbi et Orbi du Petit Comité Restreint à la botte du dirigeant. On organise alors des petits coups foireux entre groupuscules pour prendre un siège ici, pour manipuler le vote d’une motion arbitraire là, pour refouler à l’entrée de la réunion d’autres zigotos qui menacent de prendre la parole et de semer l’embarras… C’est amusant et ça passe le temps. Cela c’est du clanisme interne.
Le clanisme externe, encore un grand projet en voie d’évolution, c’est de dénoncer toutes les autres sectes qui ne sont pas assez radicales « à gauche ». Ce petit jeu est lancé par des pontes, ne vous inquiétez pas l’affaire est bien organisée ! Il y a Chantal Mouffe qui, depuis sa chaire du Department of Politics and International Relations, University of Westminster, condamne « l’illusion du Consensus » et Lordon qui surenchérit en proposant l’abolition du Salariat et même du Capitalisme public… Paf! Qui dit mieux? Chacun veut faire plus marxiste que Marx et plus léniniste que Lénine. Bien pratique pour condamner ensuite, depuis cette position extrémiste et indépassable, ceux qui seraient prêts à faire quelques concessions même temporaires, qui demandent du temps, de la prudence dans les propositions et les réformes, une large table ronde de négociations. Alors vous imaginez bien que l’ambiance n’est pas prête pour une vraie convergence et pour la rédaction d’une plateforme politique. Cela ne semble pas à l’ordre du jour, même pas dans les priorités du « moment historique ».
2. Au-delà de ce clanisme (dont on ne peut que soupconner/suspecter l’intérêt qu’y trouvent ceux qui l’organise), il y a encore un point important qui ne passe jamais le cap de ces querelles de chapelles et qui reste à l’ombre. La question de philosophie politique est la suivante : Peut-on penser que les traités européens conditionnent la vie politique française, ou doit-on faire comme si il n’existaient pas et qu’ils n’auraient aucun impact sur la démocratie?
Vous même n’en parlez pas dans ce texte. Vous ne cherchez même pas discriminer ces vieux routiers politiciens qui se disent de gauche, qui ont fait voter Maastricht, qui font capoter tout le mouvement populaire depuis 2005 et qui en attendant « le grand soir » occupent de bonnes places à Bruxelles… Je dis une bétise ou pas? Lordon par exemple que vous voulez protéger manifestement de toute attaque en le prenant sous votre aile était encore récemment partisant d’un renforcement des pouvoirs du Parlement européen. Mais qui prèche activement la confusion ici? La loi El Khomri est directement issue de la politique européenne de compétitivité du travail par la réduction des « couts » salariaux et participe de la lutte anti-inflationniste de la Commission et de la BCE. Comment y être opposé sans directement mettre en cause le pouvoir supra-national de UE et les traités européens depuis celui de Rome en 1957?
Le problème principal de philosophie politique que vous avez a règler est celui de la démocratie française contre les traités européens et il faut choisir. Choisir entre cet « euro-fascisme » européen que dénonce Todd et la souveraineté nationale condition sine qua non de la démocratie. On ne vous entend pas tellement sur cette question qui, permettez-moi de le dire, éclaircirait toutes les autres et donnerait à chacun l’opportunité de choisir son camp.
Avant de crier « au loup » contre l’ennemi que tout le monde peut voir, il faudrait être assez sioux et courageux pour voir l’ennemi qui s’est déjà infiltré dans votre camp et s’en débarrasser fissa alors qu'il joue en interne la carte du clivage, en attendant que son heure pour vous écraser.

[1] Eléments de langage : Toi aussi, apprends à rédiger un manifeste pour refonder à gauche ! http://lmsi.net/Elements-de-langage

07 mai 2016

La Trahison Lordon

Nous accordons un grand intérêt pour le mouvement du 31 Mars intitulé #NuitDebout. L'idée d'une expression citoyenne directe, d'un espace de rencontre et de dialogue, réalisée par l'occupation noctambulle de la place de la République réveille un espoir commun. S'agirait-il de ressuciter l'archétype démocratique d'une Agora athénienne où le Peuple se retrouverait en état de délibération libre et de décision autonome, souverain et respecté ?
Déjà s'élèvent ici et là de vives critiques et des objections sérieuses pour contredire par exemple le caractère spontané du mouvement, ou son impartialité garantie par "l'horizontalité" de la prise de parole. Mais ce qui gène en particulier dans ce mouvement, c'est la position prééminente qu'y a pris le polémiste Frédéric Lordon comme "leader d'opinion" et idéologue. Car si la parole est libre, ce seront ceux qui en maitrisent toutes les astuces, qui savent dévier le sens des mots et des idées à leur convenance, qui sauront le mieux diriger les foules.
Ici l'hypothèse d'une manipulation se fait jour. Il ne s'agit pas de dévaloriser ce projet démocratique ni l'abaisser au niveau de la querelle personnelle ou d'une dénonciation calomnieuse. Mais serait-il inutile de surprendre le sophiste à l'instant de son syllogisme, au milieu de sa geste corruptrice et obscurantiste, avant que l'oeuvre de confusion et de division ne soit achevée ?
Cependant si il y a manipulation, il n'est pas réaliste de croire qu'elle serait le fait d'un seul. Dans ce sens la Trahison Lordon - si nous pouvons évaluer son degré - serait celle d'un collectif, d'une congruence d'intérêts et d'agents actifs, derrière un porte-parole. 

Ce qui rend doublement pénible la tache de suivre le cheminement intellectuel du-dit Lordon - économiste et sociologue du CNRS comme il aime le souligner - ce n'est pas seulement la confusion de ses propositions, les lacunes grotesques de ses raisonemments, ses généralisations abusives, ses conclusions bancales et stériles. Non. C'est surtout le sentiment d'inutilité même puisque ses lecteurs les plus assidus semblent se désintéresser de ce qu'il écrit et ses auditeurs les plus fidèles dans les conférences ou interventions radiophoniques n'entendent rien de ses propos. En fait chacun en ressort avec le sentiment d'être rassuré dans sa propre opinion, leur certitude n'ayant rencontré aucune contradiction formelle - ni logique, ni pratique.
Si d'aventure vous croisez un de ces férus de Lordon-ologie, dans votre conversation ne vous avisez pas de citer cet auteur pour présenter une objection ou contredire l'opinion de votre interlocuteur. Le procédé est inoppérant. En effet on vous répondra systématiquement que vous déformez le propos ou que vous sortez la citation de son contexte. Essayez, vous verrez.
En effet et vous ne pourrez en déduire qu'une chose : le polémiste est des plus habiles. Sa technique, qui consiste à mélanger du certain à de l'utopique, du sérieux au spécieux, du vague au tranchant, du péremptoire à l'ironique, du général au particulier, de l'exemple explicite au contre-exemple implicite, à intervertir l'ordre de la priorité entre nécessaire et subsidiaire, à abuser de démonstration paradoxale, restera pour longtemps inégalée. Dans cette logorrhée interminable essayez donc d'en tirer un extrait suffisant, une citation complète ou tentez d'isoler une constante, un principe axiomatique, une prémice d'où découlerait une suite cohérente... Un poisson s'y noierait.
C'est bien sûr sans aucune espérance qu'il faut se lancer dans cette entreprise de décryptage. Puisque si nous retrouvions ces syllogismes savants, ces trucages de la pensée, ces évidences de fourberie, se serait par coincidence inespérée et pour prix de cet exploit formidable il ne faudrait s'attendre à rencontrer sinon qu'indifférence, du moins aucune reconnaissance.
Pour dépasser le stade du doute et finir par dénoncer la Trahison Lordon, il faudrait partir du noyau d'une philosophie improbable jusqu'à aboutir à ses implications politiques et pratiques les plus aventureuses.
Or le code ADN de cette réflexion néo-philosophique part du concept de conatus qui va s'imbriquer dans une rhétorique de lutte des classes. A partir de là il s'agit d'invalider le concept d'Etat, qui balance et contredit la Weltanschauung (représentation du monde) marxiste en proposant avec constance l'objectif de paix civile et le moyen pertinent d'un arbitrage régulateur ; de réfuter celui de Souveraineté nationale classique que le spinoziste dénonce comme "essentialiste" pour échapper à son exigence morale impérative (il faut bien renverser les principes même de devoir ou de loyauté, désignés comme "essentialistes" pour prévenir l'accusation de trahison) ; d'y substituer une notion fantaisiste de souveraineté de classe prolétarienne ou "souveraineté de gauche", signifiant rien de moins qu'une abolition constitutionnelle du Capital et du Salariat. Une condition politique utopique qui constitue objectivement une défense indirecte de "L'Europe allemande", par la neutralisation préventive d'un consensus politique anti-maastrichien et souverainiste.

Conatus et lutte des classes
Dans le concept de Conatus ou "effort vital" Lordon croit avoir découvert une pierre philosophale. Il en trouve la formule dans "Ethique" de Spinoza : « On ne désire pas une chose parce qu'elle est bonne, c'est parce que nous la désirons que nous la trouvons bonne ». Plus précisément : le Bien n'est pas un absolu, mais ce vers quoi me porte mon désir vital... Grande découverte métaphysique ! De celle qui permet de justifier, l'injustifiable : le vice et la perversion par exemple. A vrai dire cette "notion centrale" chez Spinoza, n'est pas nouvelle on la retrouve chez Descartes ou Hobbes dans "l'Etat de nature", voire même chez Aristote. Bref. La notion évolue plus tard chez Schopenhauer dans la "Volonté de puissance" que l'on retrouve aussi chez Nietsche dans "Par delà bien et mal" et finalement dans la doctrine nazie du Sur-Homme. Rien de très fructueux.

L'astuce de notre génie est d'accoller cette notion matérialiste, abimée par la dérive nietschéeenne, à une autre notion matérialiste, celle marxiste de "lutte des classes" mieux fréquentable. Son dessein est de : "Compléter les apports du marxisme en termes d'appréhension du capitalisme sous l'angle des rapports sociaux par la mobilisation du concept spinoziste de conatus : "cette énergie fondamentale qui produit l’ébranlement du corps et initie son mouvement à la poursuite d’un certain objet" [1]. Il rabachera cette "inovation" dans des pavés illisibles pour installer sa boutique de théoricien marxiste et progressiste. Les spéculations qui en ressortent sont inombrables [2].
Ce faisant, le problème principal - qu'il s'abstient de révéler - c'est la déviation opèrée sur le marxisme historique, critique et objectif vers une pensée subjective et individualiste que d'autres qualifieraient de "petite bourgeoise", on dira pour être aimable "d'accompagnement du Capitalisme". Puisqu'à ce moment nul besoin de produire des ouvrages de fond, documentés et renseignés sur les rapports de production et d'échange, sur la description de faits bruts, le détail des techniques d'accumulation et de conservation de la Valeur. On peut alors balancer aux orties la méthodologie économétrique et la description sociologique des intruments de domination sociale. En effet le désir ne se justifiant pas, foin de rationnalité scientifique, la porte est ouverte aux élucubrations les plus spécieuses : c'est la fête au village. Monsieur le-théoricien-qui-n'a-plus-rien-à-prouver va pouvoir s'auto-satisfaire en plaisantant sur "l'idiotie" de la bourgeoisie et la désorientation de son "conatus".
Une tribune intitulée Les contradictions de Frédéric Lordon d'Elias Duparc aborde ce sujet du "psychologisme" où "un stéréotype se trouve hissé au rang de causalité scientifique" [3]. C'est le point aveugle de son discours : Faire d'un affect un axiome déterminant, dépouille sa lecture socio-économique de tout réalisme. Bien sûr cette présentation subjectiviste ne peut qu'être qualifiée d'insuffisante faute d'une rigueur d'analyse "à la hauteur". Le tableau qui est fait de la domination bourgeoise - bien que prolixe - reste trop lacunaire, assez incomplet en tout cas pour priver son public - médusé ou fasciné - d'une approche efficiente. S'il suffisait d'être sarcastique en jugeant de la rationalité de l'oligarchie au regard de Sirius ou sous la latitude de Lordon cela se saurait. En attendant le fait est que cette caste dispose de positions dominantes et accumule les succès tactiques et opérationnels depuis longtemps. Ce qui démontre par l'évidence que les gestionnaires ultralibéraux sont rationnels, leur calcul risque/bénéfice étant toujours avantageux. Il n'y aurait pas lieu ici de bacler l'analyse de ce système ni de moquer ses stratégies.
Un autre problème émerge. C'est qu'en faisant diversion subjectiviste sur le "conatus" bourgeois et en dégradant le niveau d'analyse marxiste, l'impasse est faite sur la constatation du rapport de forces. Grave erreur. Warren Buffett, 4ème fortune selon Forbes 2014, déclare : « C’est la lutte des classes. Ma classe est en train de la gagner. Elle ne devrait pas. » Sans avoir besoin de connaître le point de vue de ce milliardaire, par l'observation directe de la réalité sociale, politique, écologique, on arrive à cette même conclusion de bon sens. N'importe qui peut en déduire que le jeu est quelque part truqué. En effet la théorie marxiste si elle expose brutalement ce rapport de domination conflictuel des classes sociales n'en déjoue nullement l'aboutissement fatal. Au contraire depuis ses origines le marxisme politique n'a fait qu'exacerber cette lutte et s'est fait l'allié objectif de la domination bourgeoise, notamment en se privant d'une doctrine clé et en lui abandonnant un instrument décisif : la souveraineté nationale et l'Etat-Nation.

Réfutation de l'Etat de droit
Ce qui gènerait presque cet affrontement naturel des "conatus" et cette lutte "naturelle" des classes, serait l'émergence et l'affirmation d'une autorité supérieure qui imposerait un arbitrage, des termes de consensus et de coopération dans l'intérêt de la paix civile. C'est dans cette perspective que Rousseau oppose cet "Etat de Nature" qui laisse libre cours à la guerre de chacun contre tous à "l'Etat de droit". La constitution de l'Etat suppose alors l'aliénation des libertés particulières au profit d'un corps moral et collectif : "Cette personne publique qui se forme ainsi par l'union de toutes les autres prenait autrefois le nom de Cité, et prend maintenant celui de République ou de corps politique, lequel est appelé par ses membres Etat quand il est passif, Souverain quand il est actif, Puissance en le comparant à ses semblables. A l'égard des associés ils prennent collectivement le nom de Peuple, et s'appellent en particulier citoyens comme participants à l'autorité souveraine, et sujets comme soumis aux lois de l'État." [4]
On verrait mal Lordon et ses amis contredire frontalement la thèse de l'auteur du Contrat social. Cependant les propositions émisent par cette faction dessinent une telle ligne de fracture que le résultat serait le même. Il reviendrait à cliver le consensus sur l'indépendance et la souveraineté nationale et à déstabiliser l'Etat de droit. Deux citations sont à cet égard significatives :
1. "[...] en des temps de vacillation intellectuelle, la catastrophe idéologique était vouée à se nouer autour de deux signifiants disputés : « nation » et « souveraineté ». Disputés en effet puisque, pour chacun de ces termes, l’unicité nominale masque une dualité de lectures possibles qui soutiennent des mondes politiques radicalement antinomiques. Entre la nation substantielle, confite en ses mythes identitaires et éternitaires, et la nation politique, rassemblant les individus dans l’adhésion à des principes, sans égard pour leurs origines, bref entre la nation de Maurras et celle de Robespierre, il n’y a pas qu’un gouffre : il y a une lutte inexpiable. Et de même entre la souveraineté comprise comme apanage exclusif des élites gouvernementales et la souveraineté conçue comme idéal de l’auto-gouvernement du peuple. « Nation » et « souveraineté » ne disent rien par eux-mêmes, ils ne sont que des points de bifurcation. Ils ne parlent que d’avoir été dûment qualifiés, et alors seulement on sait vers quoi ils emmènent." [5]
Au-delà de l'effet de sidération, il y aurait bien des commentaires à faire ici. Entre autres : (a) La définition juridique du terme Nation est en effet double : "personne juridique constituée par l'ensemble des individus composant l'État" [6] ou "Dans la doctrine française, telle qu'elle a été exprimée dans nos constitutions de l'époque révolutionnaire et de 1848, la nation est le titulaire originaire de la souveraineté. La nation est une personne avec tous les attributs de la personnalité, la conscience et la volonté. La personne nation est, en réalité, distincte de l'État ; elle lui est antérieure [7]." Mais si l'on veut semer le trouble et les conflits on ouvre un débat sur "l'identité" nationale ou on parle de "signifiant disputé". En effet plus qu'une supposée "dualité" la notion reste plurielle, indéterminable selon que l'on regarde l'ethnie, la langue, la culture, la religion ou la classe sociale... Pour Sieyès elle est l'ensemble des personnes formant le Tiers État [8] , puis elle est identifiée au peuple révolutionnaire qui a abattu la monarchie, enfin sous le II Empire on parle avec mépris du "gros de la nation française, ce ramassis de paysans et de manoeuvres qu'on appelle le peuple". En bref, pour des factieux la Nation est une contrainte majeure : "Quand on n'a pas pour soi l'opinion publique, c'est-à-dire la nation... on peut susciter des troubles, des complots, on peut faire des révoltes, mais non pas des révolutions !" [9]. (b). Réfuter l'héritage national en y opposant la modernité du Contrat social n'est pas plus acceptable. Comme dans la transmission d'un patrimoine, la souveraineté nationale doit être prise comme un tout dans son actif comme dans son passif. Dans le cas historique de la France, le baptême de Clovis ou le sacre de Charles VII à Reims ne peuvent pas être dissociés de tout ce qui a contribué à la constitution de l'Etat de droit et de sa légitime souveraineté. Dans cette perspective utiliser des personnages aussi divers que Maurras et Robespierre pour dénoncer une "antinomie" théorique ou fictive et justifier une "lutte inexpiable" reste hautement révélateur d'une stratégie pernicieuse. Surtout cela revient à dire qu’en partant de ces points fixes et extrêmes que la Nation ne serait plus que l’enjeu, le prétexte de la guerre civile. Or dans le fait - qui est occulté et méprisé ici - c’est que la Nation vit et reste unie par consensus. Un consensus justement rendu possible par l’expression stricte et entière du principe de souveraineté, sans lequel nul espace de dialogue, de délibération politique ou de démocratie n'existe. (c) On note en passant l'effet comique de l'opposition rhétorique entre "élites gouvernementales" et "l’auto-gouvernement du peuple". Ceci eu égard à trahison de nos clercs sur le plan de la souveraineté comme le souligne F. Mauriac : "Seule la classe ouvrière dans sa masse aura été fidèle à la France profanée" [10], mais aussi pour le rôle qu'y jouerait de si beaux parleurs dans une "démocratie populaire" à leur convenance.
2. "Et c’est peut-être celle-là la scène canonique, celle qui dit tout : la hantise du pouvoir — la réunion des étudiants et des salariés ; la surveillance en dernière instance policière du salariat rétif, c’est-à-dire la fusion de l’Etat et du capital, paradoxalement — ou à plus forte raison — quand il s’agit du capital public ; l’alternative radicale de la soumission ou de la lutte collective. [...] Et c’est vrai que, même si nous ne connaissons pas encore bien notre force, ce qui ne fait peut-être que commencer ici a tout du cauchemar pour l’Etat, qui voit ses grand-peurs s’aligner dans une conjoncture astrale du pire : la hantise de la convergence, l’abandon « en face » de la revendication, son remplacement par des affirmations. [...] Mais que peut faire un ministre, ou son directeur de cabinet, de tous ces gens qui en ont soupé de revendiquer ? Rien, absolument rien, ils le savent d’ailleurs, et c’est bien ce qui leur fait peur. C’est que, quand ils abandonnent le registre infantile de la revendication, les gens retrouvent aussitôt le goût du déploiement affirmatif — effroi de l’Etat qui s’est réservé le monopole de l’affirmation." [11]
Sans qu'il soit utile de les développer, les lecteurs de cette tribune ont entrevu les objections à ces affirmations : (a). Le terme de "fusion de l’Etat et du capital" ne renseigne rien d'utile. On retrouve le même amalgame sous la plume de P. Marlière lorsqu'il argumente sur la "Bourgeoisie jacobine" de D. Guérin. [12] Or sur le plan historique [13], l’aubaine de la Révolution, c’est qu’avec l’effondrement de l’Ancien Régime – tant décrié – cette classe Bourgeoise, a pu “sortir de son rang” comme on le disait alors, pour s’installer finalement aux affaires. En usurpant le pouvoir politique, cette Bourgeoisie parlementaire et affairiste eut alors les coudées franches pour accaparer l’institution étatique et la soumettre à ses intérêts. Ce qui explique bien le propos de Talleyrand “Nous allons faire une fortune. Une immense fortune !” Le problème c’est que par nature, si l’on veut, la Bourgeoisie est inapte au service de l’intérêt général. Cette volonté d’enrichissement corporatiste est en tout point contraire au principe de justice sociale et plus loin à l’exigence de stabilité politique. Donc disqualifier un Etat jacobin - conçu dès l'origine assez puissant pour contrer ce cancer de l'injustice sociale - sous le prétexte fallacieux de son usurpation par la haute bourgeoisie, revient à jetter le bébé (Etat) avec l'eau de son bain (l'affairisme bourgeois). Ceci sans règler la question centrale d'une usurpation politique s'appuyant sur la modernité des "libertés publiques" : prétexte d'un égalitarisme formel inopérant sur les injustices réelles. (b). La réfutation du Capitalisme d'Etat et du Salariat semble tout aussi gratuite. Nous aussi aimerions donner pleine confiance à Lordon sur la foi de sa belle frimousse et son doux regard papillonant. Mais par réalisme nous considérons qu'il n'y a chez lui aucune théorie économique de substitution. Proposer de biffer d'un trait de plume ces dispositifs économiques et juridiques actifs n'est pas sérieux. Nous avons ici affaire à des processus lourds d'inertie, dont l'enjeu regarde l'activité et la survie immédiate de millions de citoyens. Quel serait l'utilité de s'aventurer sans modèle alternatif stable dont la mise en place exige un minimum de prudence et de progressivité ? Sans compter qu'il n'y a aucun consensus politique à ce niveau, la contestation et la réaction à ces mesures aussi extrémistes qu'arbitraires mettraient un désordre inimaginable dans notre pays. Serait-ce l'effet réel recherché ? (c). Ce refus de solution négociée, arbitrée en vue d'une opportune coexistence est visiblement une constante. Proclamer l'abandon de la revendication et son remplacement par des affirmations, ne participerait-il pas au même projet corrosif d'abandon du dialogue et de la médiation ? Ce projet de République sociale vitupérante, est-ce là l'horizon réaliste d'une révolution citoyenne ? Quel intérêt accorder à cette vélléité de rédiger une "constitution de gauche" posée comme application de la thèse bancale d'une "souveraineté de gauche" ? (d). Un autre contresens s'impose sur un malentendu : D'un coté on prétend que "l’Etat s’est réservé le monopole de l’affirmation", de l'autre on questionne-répond  : "que peut faire un ministre ? Rien, absolument rien..." Il faudrait savoir, tirer au clair cette contradiction : de deux choses l'une, soit il y a monopole, soit impuissance. Nous savons que depuis l'arret Nicolo de 1989, le Conseil d'Etat a contredit le principe fondamental de non-ingérence dans les affaires intérieures et celui de l'autonomie politique et juridique posés par le droit international [14] pour s'aligner sur les dispositions du traité de Rome de 1957. Cela pose le problème d'un conflit de légalité entre les traités européens et les lois nationales. Cela concerne évidemment les dispositions critiquées de la loi El Koumri puisqu'elles sont prises en fonction des injonctions de l'Union européenne concernant la "modernisation du marché de l'Emploi". C'est pourquoi il serait utile de ne rien revendiquer puisque formuler la problèmatique serait aussi désigner la cause européiste et disculper l'Etat national en tant que tel. Ce "nous ne revendiquons rien" s'explique bien dans ce contexte, il permet d'entretenir un flou artistique opportun pour ne pas dévoiller l'erreur de casting : les traités européens restent intouchables et l'Etat prisonnier du complexe de supra-nationalité. Entre nous soit dit c'est une thématique d'autant plus taboue que l'astucieux Lordon s'est déjà exprimé par ailleurs [15] sur son attachement au principe "d'encadrement des politiques nationales"... Pour la "scène canonique, celle qui dit tout", on repassera.

Blocage du consensus et statu quo pan-germaniste
Finalement le discours de Lordon et ses amis n'est pas raisonnable. Mais c'est peu de le dire. Il faudrait aussi en exposer toutes les implications politiques concrètes.
Nous avons déjà souligné l'impasse que constitue le discours internationaliste de "lutte des classes". Il y a longtemps que le piège s'est refermé sur ce trotskysme internationaliste. Même Philippe Pétain, vieille ganache inculte et sournoise, a pu à bon compte se défausser de "l'étrange défaite" organisée par ses complices, sur une prétendue trahison socialiste des instituteurs-officiers de réserve ou des troupes gagnées par l'idéologie révolutionnaire "anti-patriotique". Or il s'agit de la même rhétorique recyclée par l'oligarchie mondialiste et déclinée à l'envie par les influents propagandistes d'une "autre-Europe", d'une "Europe sociale" entrevue comme réalisable par le moyen d'une "convergence des luttes". Une option fantaisiste pratiquement et juridiquement irréalisable mais qui en définitive aboutit au résultat concret d'un complet clivage politique intérieur et à la désabilisation de l'unité et de la solidarité nationale. N'est ce pas le but recherché ?
De même nous avons collectionné ces thèmes "non-négociables" tels "souveraineté de gauche", cette condamnation de la nation "essentialiste", cette impérieuse nécessité d'une "subversion révolutionnaire" contre "l'Etat bourgeois", cette "République sociale" par l'abolition radicale du "Capital et du Salariat", et d'autres encore peut-être seulement évoqués dont l'énumération serait longue et fastidieuse. Nous laissons bien sûr à la sagacité de nos lecteurs l'évaluation de la nocivité de ces slogans taillés à l'emporte-pièce.
Cependant il semble déjà établi que d’évoquer la souveraineté en différenciant une souveraineté de droite et souveraineté de gauche, constitue une erreur grave et conséquente. Pour Rousseau la souveraineté ne se partage pas. Elle est ou n’est pas. Ceci posé comment discriminer une souveraineté "de droite" ou "de gauche" ? Soit l’Etat est souverain, libre de faire ses lois et sa politique selon ses propres critères d’organisation et de fonctionnement, soit il ne l’est pas. Cette méprise - martelée médiatiquement - sur la souveraineté devient comme une mode intellectuelle. On l’a vu après 2005 quand les Mélenchon et cie proclamèrent une victoire du "NON de gauche". Ce discours aurait participé à la censure, à l'invalidation politique d'un vrai front anti-TCE. Pour quelques-uns il ne fallait pas maintenir ce consensus populaire et trans-partisan et le miner par une dialectique politicienne. On a constaté par la suite, ce qu’a donné la tentative de récupération de ce "NON de gauche" par un improbable "Front de gauche". Un fiasco total - ou une manipulation réussie pour certains qui trouvaient intérêt à cette impasse.
Mais quel serait l'intérêt de cet impasse, qui donc benéficirait de cette absence de débouché politique, de reconquête de la souveraineté française ?
L'hypothèse d'une opposition oligarchique et en particulier de l'influence dominante des partisans d'une mondialisation atlantiste [16] est la plus répandue. Mais une autre version se fait jour avec l'idée d'une "Europe allemande". L'Allemagne réunifiée constitue une puissance dominante qui tend, comme de nombreuses études l'ont signalé, à la non-coopération et à renouer des liens avec une stratégie traditionnelle de type impérialiste. On l'a vu pour la politique d'union douanière, d'union économique et monétaire dont elle reste largement bénéficiaire, malgré certaines divergences techniques, depuis l'institution du traité de Maastricht de la BCE à Frankfurt. Sur le plan industriel le déséquilibre de l'infrastructure française est devenu en quelques années criant en comparaison du renforcement du tissu productif outre-Rhin. Par sa politique sociale déflationniste elle a donné le signal d'un renforcement général d'une stratégie de rigueur et d'austérité qui en pesant sur les salaires maintient un taux d'inflation favorable aux réserves de capitaux. Ceci tout en préservant son intérêt national d'une ingérence excessive des institutions européennes par les jugements contraires de la Cour fédérale de Karlsruhe. Tout récement ce même Tribunal constitutionnel de Karlsruhe vient de formuler plusieurs décisions pour donner à la Loi fondamentale une interprétation favorable aux opérations militaire extérieures de la BundesWehr. Les services secrets allemands (BND) quant à eux, n'ont pas attendu ces délais pour intervenir trés tôt en Yougoslavie [17] et contribuer à l'éclatement ethnico-confessionnel de cette nation. L'émancipation française de la tutelle bruxelloise ne serait-elle pas de nature à porter atteinte à cette nouvelle hégémonie germanique ? Cette dernière n'aurait-elle pas intérêt à conserver ses positions et ses acquis récents par un statu quo ; une situation maintenue si nécessaire en encourageant toute initiative y contribuant : tel le projet utopiste d'une "sortie de gauche" de l'institution européiste à la fois cul-de-sac politique et vecteur de clivage en plaçant l'esprit de faction au-dessus de l'intérêt commun. Il est certain que l'ambassadeur d'Allemagne M. Meyer-Landrut, le conseiller Europe d’Angela Merkel [18], suit avec attention ces manifestations confuses et le désordre habituel qui les accompagne...
En dernière analyse il semble difficile d'écarter cette suspicion de trahison de l'intérêt national qui pèse sur Lordon et ses comparses. Sur un plan philosophique il ne s'agirait que d'une simple "colinéarisation des conatus" sur celui de la puissance germanique prédominante. Et en définitive que n'a t'on cessé d'entendre de l'économiste-vedette ? L'Allemagne veut ceci, l'Allemagne craint cela... Si Lordon s'est rabattu dernièrement sur l'idée d'un retour à la souveraineté monétaire : est-ce en faisant le constat d'un déni démocratique ? Est-ce en rapportant les difficultés socio-économiques des français, voire des grecs, ou des italiens, ou des portugais, etc ? Est-ce en évaluant la situation précaire du budget et des services publics ? Que nenni. C'est selon le constat que l'Allemange n'accepterait pas un contrôle de la politique monétaire par un Parlement européen aux compétences élargies en la matière [19]. Une position qu'il s'empresse de justifier en faisant larmoyer dans les chaumières sur les traumatismes inflationistes de la République de Weimar, alors que les autorités utilisaient ce subterfuge pour contourner les obligations de réparations du Traité de Versailles ! Tout ceçi dégouline d'ignominie sans ressembler même de loin à la contribution d'un débat où l’intelligence sortirait gagnante.

Conclusions
A ce sujet un contributeur écrit (à juste titre) : "M. Michéa, M. Lordon animent le débat en critiquant sans RIEN proposer en échange. A quoi servent ils dans le fond ? Ils me font penser à ces clowns de cirque qui amusent le public pendant qu’une équipe technique installe la cage aux lions." Alessio Moretti, un animateur de #NuitDebout à Nice sur la nécessité "d'aiguiser nos armes théoriques" nous livre cette autre réflexion : "Par un paradoxe caractéristique des époques finissantes, ce sont les seigneurs du moment qui accélèrent eux-mêmes le processus de la décomposition, dont on reconnaît les étapes aux seuils de corruption du langage enfoncés l’un après l’autre."
Il résulte de tant de contradictions et de non-dits qu'on assiste à des réunions #NuitDebout où le débat est fondamentalement désorganisé sur le plan logique. Si en théorie la parole est formellement libre et organisée, ce n'est qu'une apparence trompeuse. Ce qui s'organise c'est l'interdiction de l'expression de toute objection fondamentale, c'est à dire de celles qui dénonceraient et mettraient en lumière les contradictions et autres incohérences, telles celles que nous venons d'évoquer. Toute intervention "non-radicale" qui temporiserait les positions extrémistes affichées par les "gentils organisateurs" ou qui insisterait sur la nécessité d'une souveraineté nationale comme moyen et fin d'un consensus politique démocratique, par exemple doivent être bannies au même motif de "fascisme" que celles d'autres provocateurs. Cette "chasse au facho" semble scénarisée sur le modèle du théatre de Guignol lorsque le marionnettiste demande aux enfants d'alerter lorsqu'ils voient passer la marionnette du gendarme! Or les apparences peuvent être trompeuses, le "fascisme" n'est pas toujours chez celui qu'on accuse gratuitement et la supercherie pourrait être dévoilée sur le point précis de la position supra-nationaliste et "euro-fasciste" [20] des organisateurs de #NuitDebout...
On voit la manipulation des leaders qui par l'effet d'une dialectique déconstruite, erratique, paradoxale, privent la masse d'arguments fiables, d'un discours cohérent qui imposerait de lui-même des conclusions d'unanimité. Cette interruption de la pensée et l'impossibilité d'une synthèse qui découlerait d'une analyse politique cohérente permet un résultat qui semble attendu par la clique autour de Lordon. D'une part on assiste à des débats "éclatés" où chaque commission discute dans "une voie de garage" stérile de ses affaires. D'autre part se greffent des excités ou provocateurs qui n'attendent qu'une confrontation avec les forces de l'ordre ou l'occasion de s'en prendre aux symboles de l'Etat-Nation. Sur le plan général on voit bien se dessiner les contours d'une manipulation de la "rage". Les désordres que l'on observe ensuite n'expriment que ce néant moral et philosophique, cette absence de canalisation par une parole vraiment libre, cette non-verbalisation des problématiques que nous venons de démontrer. Avec des motifs identifiés, justifiables ce mouvement se défendrait par la raison elle-même. Par défaut seuls la radicalisation, le désordre gratuit serviront d'alibi irrationnel. Ce qui permet de créer une double divergence, soit vers des conciliabules 'atopiques' (sans objet ni lieu), soit le désordre d'une rage infantile et la vaine agitation. Attitude infantile et irresponsable qui appelle une réaction transactionnelle symétrique d'ordre tyranique et répressif. Les réunions #NuitDebout qui partent à la base d'une belle idée démocratique, ne servent plus que de prétexte, de point de fixation, de noyau de cristalisation d'initiatives extrémistes et dangeureuses. Ce que l'on cherche c'est manifestement la déstabilisation du pays par une stratégie critique d'éclatement du consensus national. Un objectif qui semble coincider judicieusement avec ceux du gouvernement Valls et des autorités européennes. Belle convergence des luttes!

Enfin concluons par cette citation de Richelieu, admirable ministre d'Etat de Louis XIII : "[...] bien qu'au cours des affaires ordinaires la justice requière une preuve authentique, il n'en est pas de même en celles qui concernent l'Etat, puisqu'en tel cas, ce qui paraît par des conjectures pressantes doit quelquefois être tenu pour suffisamment éclairci [...] Il ne faut pas croire qu'on puisse avoir des preuves mathématiques des conspirations et des cabales : elles ne se connaissent ainsi que par l'évènement, lorsqu'elles ne sont plus capables de remèdes. Il les faut donc toujours prévoir par de fortes conjectures, et prévenir par prompts remèdes." [21]

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Notes
[1] voir. Réflexions sur la « colinéarisation des conatus » (Frédéric Lordon) dans les stratégies de sauvegarde de l’Euro
[2] On note P. ex. :
- "L’entreprise d’aujourd’hui voudrait des oranges mécaniques, c’est-à-dire des sujets qui, d’eux-mêmes, s’efforcent selon ses normes, et comme elle est (néo)libérale, elle les voudrait libres en plus de mécaniques – mécaniques pour la certitude fonctionnelle, et libres à la fois pour la beauté idéologique de la chose mais aussi considérant que le libre arbitre est en définitive le
plus sûr principe de l’action sans réserve, c’est-à-dire de la puissance d’agir livrée entièrement. Comme on sait, le constructivisme de la spontanéité et le façonnage des libres arbitres sont des entreprises profondément aporétiques, par là vouées soit à rendre les sujets fous, soit à leur imposer une violence symbolique à un degré dont on dit ici qu’il peut être qualifié de totalitaire"

- "Tous n’en sont pas moins des patrons, captateurs de l’effort (conatus) de leurs subordonnés, enrôlés au service du désir patronal"
- "le capitalisme pourrait bien se mettre en danger lui-même de poursuivre jusqu’au bout un rêve de mobilisation productive fondamentalement porteur de son principe antagoniste : la liberté créative, la liberté collaborative et la rétivité à la direction hiérarchique telle que, d’ailleurs, elle détermine nécessairement l’organisation collective du travail sur une base délibérative-démocratique – soit le communisme réalisé".
[3] "Le point est que Lordon accorde une place centrale aux modélisations théoriques ainsi qu’à leurs concepteurs, les intellectuels. Ainsi, s’agissant de l’impasse européenne actuelle, il faudrait en chercher la cause dans l’application de cette « construction symbolique de longue période » qu’est l’ordo-libéralisme allemand. L’auteur ajoute ici les linéaments d’une explication historico-culturaliste : il y aurait une préférence allemande pour la stabilité monétaire qui serait consécutive au traumatisme de l’hyperinflation d’avant-guerre. « Le peuple allemand vit à sa manière la chose monétaire  », affirme ainsi l’ethnologue Lordon. Bref : le blocage actuel provient de cette spécificité allemande « de ne pas vouloir voir enfreintes les règles auxquelles ils tiennent par-dessus tout  ». L’intransigeance teutonne, en un mot. Certains pourraient contester que ce qui ressemble furieusement à un stéréotype se trouve hissé au rang de causalité scientifique. Incontestablement, l’auteur accorde aux constructions idéologiques une grande importance explicative. La période actuelle serait par exemple caractérisée par « l’effacement historique » de « l’économicisme ». Tout se passe comme si les enjeux du monde contemporain pouvaient se réduire chez Lordon à des étourderies d’économistes qui ont inversé l’ordre des facteurs."
[4] Du Contrat social, J-J. Rousseau, 1762
[5] Clarté F. Lordon 26 août 2015
[6] "Élément de l'État constitué par le groupement des individus fixé sur un territoire déterminé et soumis à l'autorité d'un même gouvernement. La nation est la substance humaine de l'État" (Cap. 1936)
[7] L. Duguit,Traité de dr. constit., t.1, 1927
[8] Le Tiers embrasse donc tout ce qui appartient à la nation ; et tout ce qui n'est pas le Tiers ne peut pas se regarder comme étant de la nation (Sieyès)
[9] Scribe, Bertrand, 1833, i, 6, p.134
[10] François Mauriac Les cahiers noirs, Éditions de Minuit, 1943
[11] Nous ne revendiquons rien, F. Lordon, 29 mars 2016
[12] Voir. « Printemps républicain » : le rappel à l’ordre de la bourgeoisie jacobine
[13] Les termes de République, Etat et Nation se retrouvent associés dans la synthése philosophique du XVIIe siècle. Avec l'aide de ses théologiens et juristes la monarchie a théorisé la notion de deuxième corps du Roi, cette personalité morale qui le pose légitime souverain dans son Etat, administrateur de la Justice, défenseur de la Religion et gardien de l'ordre social. Sur une periode importante elle a permis la stabilité politique et sociale en dépit de multiples révoltes où s'associent la bourgeoisie parlementaire et la haute féodalité. Deux classes puissantes, désireuses de secouer le joug de l'autorité royale et de s'accaparer du pouvoir d'Etat. L'idée de République transmise depuis l'Antiquité par la tradition italienne et l'indépendance hollandaise, renouvelle l'opportunité aux ennemis du Souverain de faire miroiter la perspective de salutaires "libertés publiques" sous un gouvernement de gentilshommes-marchands.
[14] Ier principe primordial de la déclaration relatif à la souveraineté nationale : « Les Etats participants respectent mutuellement leur égalité souveraine et leur individualité ainsi que tous les droits inhérents à leur souveraineté et englobés dans celle-ci, y compris,
en particulier, le droit de chaque Etat à l’égalité juridique, à l’intégrité territoriale, à la liberté et à l’indépendance politique. Ils respectent aussi le droit de chacun d’entre eux de choisir et de développer librement son système politique, social, économique et culturel ainsi que celui de déterminer ses lois et ses règlements. » VI Principe primordial de Non-intervention dans les affaires intérieures : « Les Etats participants s’abstiennent de toute intervention, directe ou indirecte, individuelle ou collective, dans les affaires intérieures ou extérieures relevant de la compétence nationale d’un autre Etat participant, quelles que soient leurs relations mutuelles. Ils s’abstiennent en conséquence de toute forme d’intervention armée ou de la menace d’une telle intervention contre un autre Etat participant. Ils s’abstiennent de même, en toutes circonstances, de tout autre acte de contrainte militaire ou politique, économique ou autre, visant à subordonner à leur propre intérêt l’exercice par un autre Etat participant des droits inhérents â sa souveraineté et à obtenir ainsi un avantage quelconque. Ils s’abstiennent en conséquence, entre autres, d’aider directement ou indirectement des activités terroristes ou des activités subversives ou autres visant au renversement violent du régime d’un autre Etat participant. » Accord final d'Helsinki, 1975.
[15] voir : L’Européisme a-t-il eu raison de l’Europe ? Emission France-Culture (9/04/14) que l’on peut aussi écouter ici. Lire aussi L'illusion Fréderic Lordon : les sophismes d'un euro-fédéraliste, avril 2014
[16] L'art. 2 du traité Atlantique Nord pose l'obligation de convergence des "politiques économiques" et de collaboration économique multilatérale : "Les parties contribueront au développement de relations internationales pacifiques et amicales en renforçant leurs libres institutions, en assurant une meilleure compréhension des principes sur lesquels ces institutions sont fondées et en développant les conditions propres à assurer la stabilité et le bien-être. Elles s'efforceront d'éliminer toute opposition dans leurs politiques économiques internationales et encourageront la collaboration économique entre chacune d'entre elles ou entre toutes."
[17] Le tournant a eu lieu dans les Balkans, prudemment en Bosnie du temps d’Helmut Kohl, mais surtout au Kosovo avec la coalition rouge-verte. Le ministre des Affaires étrangères Joschka Fischer a convaincu en 1999 ses amis écologistes et pacifistes que la défense des droits de l’homme pouvait passer, en dernier ressort, par le recours à la force. v. L'armée allemande regarde enfin ailleurs
[18] Paradoxe : l’homme qu’Angela Merkel a choisi pour devenir, à partir du lundi 27 juillet, ambassadeur d’Allemagne à Paris n’a eu de cesse de passer par-dessus la tête des ambassadeurs. Jusqu’au 30 juin, Nikolaus Meyer-Landrut était en effet le « directeur du département 5 » de la chancellerie, comme disent les initiés. En clair, le conseiller Europe d’Angela Merkel. Le haut-fonctionnaire qui, depuis 2011, a préparé et a participé à tous les sommets européens ainsi qu’aux innombrables rencontres bilatérales entre sa chef et ses vingt-sept homologues. Le nouvel ambassadeur allemand à Paris, francophile mais intraitable
[19] Voir. Plan A, plan B ? Plan C !, octobre 2015 : "Contre la tentation des clopinettes, qui se contentera d’un bout d’allègement de dette par-ci ou d’une détente temporaire de contrainte budgétaire par-là, le « plan A-plan B » ne peut donc avoir d’autre objectif que maximal : la déconstitutionnalisation et la repolitisation intégrales de toutes les questions de politique économique. Objectif « maximal » au regard seulement des démissions politiques de la gauche en matière européenne, dont la mesure se trouve ainsi donnée, quand il s’agit en réalité de l’objectif minimal de toute démocratie digne de ce nom : qu’il soit permis aux instances représentatives de discuter et de rediscuter de tout, tout le temps. Spécialement des contenus de politique économique, dont il est inconcevable qu’ils aient été soustraits à la délibération politique ordinaire, et qui doivent impérativement, et intégralement, lui être rendus. Mais la délibération de qui au juste ? Celle d’un parlement de l’eurozone, normalement. Sauf qu’il n’existe pas. Qu’à cela ne tienne, répondent certains : un objectif exigeant, doublé d’une sortie par le haut, en voilà un ! Le pouvoir d’enchantement des « sorties par le haut » est cependant parfois tel qu’il en désarme toute analyse critique de leurs conditions de possibilité. Il ne faut donc pas craindre de répéter qu’un parlement de l’eurozone n’aurait de chance de voir le jour qu’à la condition expresse de poser très explicitement les deux questions suivantes : 1) l’Allemagne accepterait-elle que toutes les dispositions économiques et monétaires actuellement sanctuarisées dans les traités soient remises à la délibération parlementaire ordinaire ; et 2) l’Allemagne accepterait-elle d’être mise en minorité – puisque telle est la loi de la démocratie délibérative – sur l’une ou l’autre de ces dispositions, au hasard l’indépendance de la banque centrale, l’autorisation du financement monétaire des déficits publics, ou la suppression de la contrainte a priori des 3% ? [...] Jamais l’Allemagne ne courra le risque d’une « reparlementarisation », d’une « redémocratisation de la monnaie » qui pourrait mettre en minorité ses sacro-saints principes – à plus forte raison dans la période actuelle."
[20] Invité dans l’émission "Ce soir (ou jamais !)" (France 3) du 14 février dernier, Emmanuel Todd a déclaré, à propos de l’impopularité du plan de rigueur adopté la veille par le Parlement grec : « (…) quand même, ce qui est important dans le moment historique actuel, c’est de voir l’Europe changer de nature : c’était une association de démocraties, c’est devenu un système de prélèvement du surplus de manière autoritaire par la Banque centrale ; ça s’est transformé en système hiérarchique avec l’Allemagne à la tête et son brillant second, la France ; et, en vérité, ça devient un système qui détruit la démocratie ! Je veux dire : ce qui se passe actuellement en Grèce, c’est la destruction de la démocratie par l’Europe. Et comme le mécanisme est très général, comme le processus de destruction se fait – comme dans la naissance du fascisme et du nazisme en fait, au-delà de l’agitation populaire, etc. – par en haut… Je veux dire : c’est un complot des élites ! – je dois être un complotiste dans un sens –, un complot des élites. Je pense qu’on peut commencer à spéculer sur l’intérêt du concept d’"eurofascisme" ».
[21] Richelieu : L'aigle et la colombe, A. Teyssier, Perrin 2014