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22 juillet 2017

Controverse avec J. Sapir : Souveraineté et Imperium


https://twitter.com/russeurope/status/888088346060349440


Je n'ai pas encore lu ce texte avec B. Bourdin et B. Renouvin publié au CERF qui me paraît riche de propositions et d'arguments. Une petite appréhension me retient pourtant. L'idée pénible de retrouver un autre dialogue de sourds, le simple compte-rendu d'un clivage extrême des opinions. Une impasse prévisible lorsque qu'aucune analyse n'est posée sur des termes consensuels ou des constats d'évidence. Lorsque s'affrontent des logiques appuyées sur des partis pris et des conclusions bancales.
Je tiens cependant à revenir sur ce qui – me semble t'il - constitue les fondements d'une thèse philosophico-juridique que vous défendez courageusement. Puisque vous acceptez d'entrer dans la controverse en honnête homme et dans un domaine où n'est pas votre point fort. De même je ne saurai prétendre à une réfutation élaborée et exhaustive mais de faire réserve sur des propositions fragiles ; d'évoquer des perspectives murées et qui manquent au tableau.
Ce qui me gène est que vous semblez approuver cet article ["De l'imperium à la souveraineté", ou la souveraineté comme évolution séculaire de l'imperium] dixit : « Excellent, même si quelques flous entre imperium et potestas (voir Mario Bretone) »

Je pose donc en réserve ces éléments :
- L'idée qu'il y aurait filiation descendante entre imperium et souveraineté. Au contraire la souveraineté me paraît première, ensuite en vient les distinctions légales – à Rome - de ses attributs et fonctions en imperium militiae, domi et autres institutions. J'en veux pour preuve l'existence concomitante d'autres souverainetés, d'autres cité-états même chez des peuples latins de la région, sans parler des étrusques, lombards, phéniciens, grecs, etc. ni d'autres contrées.
- L'idée d'un processus historique, d'ordre déterministe, quasi téléologique dans une « évolution séculaire » de « glissement de la transcendance vers l’immanence. […] Ce glissement progressif conféra à la souveraineté moderne l’une des caractéristiques essentielles : la souveraineté issue d’elle-même. […] le glissement du sacré vers la sécularisation fait partie de la modernisation du concept de souveraineté. […] Même avec Jean Bodin, si ce dernier consacra le terme de souveraineté tel que nous l’entendons aujourd’hui, cette dernière est toujours lié au sacré ; en l’espèce le pouvoir de droit divin dont le Roi de France tirait sa légitimité. Or, la sécularisation de la souveraineté est l’élément essentiel de sa définition moderne ; c’est parce qu’elle est sécularisée qu’elle est immanente, et réciproquement ».

J'ouvre en perspective :
- Un biais du discours qui s'articule en premier lieu sur une réfutation de l'origine naturelle ou divine de l'autorité, de la loi, de la souveraineté et donc d'une mission sacrée du souverain.
- Pour cela il faut négliger l'expérience historique de l'émergence spontanée de la souveraineté dans tous les peuples du monde et sa cristallisation native dans toutes les civilisations pour ne focaliser que l'expérience romaine par ex. En effet prendre en compte cette pluralité historique en viendrait à identifier des constantes universelles qui nuisent à l’enveloppe idéologique moderniste et positiviste. Un constat d'évidence qui lierait dès l'origine la souveraineté à un ordre naturel et divin passerait par la non disqualification au titre de mythes, d'anecdotes ou de superstitions les destins d'un Hammurabi, Thésée, David, Cyrus, Gengis Khan, Louis IX, etc. Les valeurs universelles et vertus exemplaires du souverain telle que la loyauté, l'équité, la fidélité, la piété, la bonté, la fermeté en font alors un gardien de l'ordre temporel, garant en dernier recours d'une justice terrestre et responsable religieux du salut des âmes dans l'au-delà. Ce que formalise le zoroastrisme dans la description d'une lutte cosmique entre forces bienveillantes et maléfiques ; le christianisme par le mystère de l'incarnation de Dieu en l'homme, de sa délivrance du péché, crime contre l'ordre divin.
- Le premier coup porté à la souveraineté dans son principe serait alors de remplacer cette tradition sapientiale du nomos/dharma, de l'ordre divin, par le discours séduisant et dit « émancipateur » d'un « savoir philosophique » artificiel et ratiocineur proche par la méthode du sophisme et de la scolastique médiévale. Discours qui se résume au mépris de l'humanité et des fondements du droit.
- Corrélativement ce process correspond à la montée en puissance et la volonté subversive d'une classe marchande qui, associée à l'Université, au Parlement et l'aristocratie féodale, vise à l'autorité suprême. Une prétention déplacée, n'ayant pas les moyens d'assumer les exigences « universelles » de la souveraineté. Une tendance constante au renoncement et à l'oppression, en est le signe évident.