Je n'ai pas encore lu ce texte avec B. Bourdin et B. Renouvin publié au CERF qui me paraît riche de propositions et d'arguments. Une petite appréhension me retient pourtant. L'idée pénible de retrouver un autre dialogue de sourds, le simple compte-rendu d'un clivage extrême des opinions. Une impasse prévisible lorsque qu'aucune analyse n'est posée sur des termes consensuels ou des constats d'évidence. Lorsque s'affrontent des logiques appuyées sur des partis pris et des conclusions bancales.
Je tiens cependant à
revenir sur ce qui – me semble t'il - constitue les fondements
d'une thèse philosophico-juridique que vous défendez
courageusement. Puisque vous acceptez d'entrer dans la controverse en
honnête homme et dans un domaine où n'est pas votre point fort. De
même je ne saurai prétendre à une réfutation élaborée et
exhaustive mais de faire réserve sur des propositions fragiles ;
d'évoquer des perspectives murées et qui manquent au tableau.
Ce qui me gène est
que vous semblez approuver cet article ["De l'imperium à la souveraineté", ou la souveraineté comme évolution séculaire de l'imperium] dixit : « Excellent, même si quelques
flous entre imperium et potestas (voir Mario Bretone) »
Je pose donc en
réserve ces éléments :
- L'idée qu'il y
aurait filiation descendante entre imperium et souveraineté.
Au contraire la souveraineté me paraît première, ensuite en vient
les distinctions légales – à Rome -
de ses attributs et fonctions en imperium militiae, domi
et autres institutions. J'en veux pour preuve l'existence
concomitante d'autres souverainetés, d'autres cité-états même
chez des peuples latins de la région, sans parler des étrusques,
lombards, phéniciens, grecs, etc. ni d'autres contrées.
- L'idée d'un
processus historique, d'ordre déterministe, quasi téléologique
dans une « évolution séculaire » de «
glissement de la transcendance vers l’immanence. […] Ce
glissement progressif conféra à la souveraineté moderne l’une
des caractéristiques essentielles : la souveraineté issue
d’elle-même. […] le glissement du sacré vers la
sécularisation fait partie de la modernisation du concept de
souveraineté. […] Même avec Jean Bodin, si ce dernier
consacra le terme de souveraineté tel que nous l’entendons
aujourd’hui, cette dernière est toujours lié au sacré ; en
l’espèce le pouvoir de droit divin dont le Roi de France tirait sa
légitimité. Or, la sécularisation de la souveraineté est
l’élément essentiel de sa définition moderne ; c’est
parce qu’elle est sécularisée qu’elle est immanente, et
réciproquement ».
J'ouvre en
perspective :
- Un biais du
discours qui s'articule en premier lieu sur une réfutation de
l'origine naturelle ou divine de l'autorité, de la loi, de la
souveraineté et donc d'une mission sacrée du souverain.
- Pour cela il faut
négliger l'expérience historique de l'émergence spontanée de la
souveraineté dans tous les peuples du monde et sa cristallisation
native dans toutes les civilisations pour ne focaliser que
l'expérience romaine par ex. En effet prendre en compte cette
pluralité historique en viendrait à identifier des constantes
universelles qui nuisent à l’enveloppe idéologique moderniste et
positiviste. Un constat d'évidence qui lierait dès l'origine la
souveraineté à un ordre naturel et divin passerait par la non
disqualification au titre de mythes, d'anecdotes ou de superstitions
les destins d'un Hammurabi, Thésée, David, Cyrus, Gengis Khan,
Louis IX, etc. Les valeurs universelles et vertus exemplaires du
souverain telle que la loyauté, l'équité, la fidélité, la piété,
la bonté, la fermeté en font alors un gardien de l'ordre temporel,
garant en dernier recours d'une justice terrestre et responsable
religieux du salut des âmes dans l'au-delà. Ce que formalise le
zoroastrisme dans la description d'une lutte cosmique entre forces
bienveillantes et maléfiques ; le christianisme par le mystère
de l'incarnation de Dieu en l'homme, de sa délivrance du péché,
crime contre l'ordre divin.
- Le premier coup
porté à la souveraineté dans son principe serait alors de
remplacer cette tradition sapientiale du nomos/dharma,
de l'ordre divin,
par le discours
séduisant et dit
« émancipateur »
d'un « savoir philosophique » artificiel
et ratiocineur proche par la méthode du sophisme et de la
scolastique médiévale. Discours
qui se résume au mépris de l'humanité et des fondements du droit.
-
Corrélativement ce
process correspond à la montée en puissance et la volonté
subversive d'une classe marchande qui, associée à l'Université,
au
Parlement
et l'aristocratie féodale, vise à l'autorité suprême. Une prétention déplacée, n'ayant pas les moyens d'assumer les exigences
« universelles »
de la souveraineté. Une
tendance constante au
renoncement et
à l'oppression, en est le
signe évident.
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