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01 août 2015

Vive l’Economie politique avec M. Harribey!

Le Pr Harribey écrit dans un article du 23 juillet 2015 intitulé La nouvelle crise arrive : "Il existe aujourd’hui un excédent d’épargne privée dans le monde par rapport au flux monétaire qui irrigue les entreprises, dont la contrepartie est l’endettement".
N’aurait-il pas mieux fallut dire :
“[En contrepartie de l’endettement public], il existe aujourd’hui un excédent d’épargne privée dans le monde par rapport au flux monétaire qui irrigue [le cycle de production et d’échange interne]”. [1]
C'eut été décrire une séquence logique ET ouvrir un autre débat sur le monétarisme. 

1. Une logique

L’endettement public provient du déficit entre recettes et dépenses publiques, du double fait des réductions fiscales pour les hauts revenus et de la perte de contrôle fiscale sur cette épargne.

On peut dire que cette perte de contrôle est causée :
  • a) par la libre circulation des flux financiers (autorisée par les traités UE) ; 
  • b) la fin du contrôle des changes ;
  • c) ceci contribuant à l’évasion fiscale. 
Il faudrait aussi évoquer :
  • d) la réforme normative requalifiant ces fonds non plus en quasi-monnaie dans M3 mais en fonds de placement. Une pirouette qui fait disparaitre des “exécents financiers”, une épargne représentant des sommes collossales (qui vont alimenter la spéculation sur matières premières, devises, actifs industriels, etc.) des calculs. 
  • De plus e) la libre circulation des marchandises, hors toute considération de réciprocité commerciale ou de mécanisme d’équilibre par quotas sont des raisons suffisantes pour expliquer un déficit commercial et la contrepartie d’un “besoin de financement” qui aggrave le niveau d’endettement des ménages, des entreprises et de l’Etat.

2. Un débat

Il est pas difficile de relier ce déséquilibre de l’endettement public à la critique des règles monétaristes et ultra-libérales [2].
Pourtant M. Harribey se prive de cet argument et de cette rationalité analytique d’ordre systèmique. Il nous prive aussi du développement de cette question dans son raisonnement et ses conclusions.
Mais si nous censurons l’implication des thèses et pratiques monétaristes dans les causes de l’endettement public, comment alors en parler et comment y remédier?
Nous ne sommes pas naïfs au point d'ignorer une des raisons de ce silence. On sait bien qu'évoquer le régime monétariste de la sphère financière est un sujet tabou. Ne faudrait-il pas laisser croire que la finance ait toujours été organisée selon les règles monétaristes ?
Dénoncer les thèses de M. Friedmann, c'est aborder une phase de l'histoire économique qui a fait basculer un système où l'Etat avait un rôle déterminant à jouer en vue d'assurer le plein-emploi par la régulation des flux économiques. Dénoncer les thèses de Friedmann et leur application c'est y imputer les déficits publics, la désorganisation, la crise...
C'est là que se trouve le noeud de la question. Car parler d'un Etat régulateur, et de plus, menant un programme d'économie politique à finalité sociale : c'est faire du souverainisme. C'est dire que l'Etat pour être efficace et contrer ces fameux marchés financiers doit disposer des instruments de souveraineté. Des instruments liés à la politique monétaire bien sûr, mais aussi ceux de la politique commerciale, industrielle, financière (par la supervision et la distribution des moyens de l'épargne selon une stratégie publique d'investissement) et sociale. Bref tous ces moyens juridiques de la puissance publique qui selon les règles démocratiques peuvent contribuer à surmonter les crises et offrir des perspectives et des projets à l'ensemble de la population. Oui, nous parlons bien de tous ces leviers de l'action publique qui ont été subtilisés sur le plan national pour être encadrés sur le plan supra-national par le système européiste. Or les traités européens, le système monétaire européen appliquent concrètement ces thèses monétaristes qui elles nous conduisent à la crise.
N’en parlons donc pas.

3. Conclusion et autres escamotages

Une crise s'annonce depuis la Chine, dont ici personne ne serait responsable. "Une crise, ma bonne dame, rendez-vous compte! Quel choc, quelle calamité pour nous tous! Et croyez-moi madame Michu je suis professeur d'Economie Eh oui!"
Ne disons donc pas (à Mme Michu) que rétablir l’équilibre des cycles financiers et des cycles de production et d’échange interieurs passe par la réhabilitation du rôle régulateur de l’Etat-providence.
Quelle erreur ! Nous serions classés parmi "des régulationnistes (des parias issus du dirigisme bolchevique, non?), des souverainistes (des sous-parias qui sont pires puisqu'on y trouve des monarchistes vendéens, des nationalistes d'extrème droite, etc.)". Ensuite nous nous retrouverions privés de certains autres avantages (dont les dispositions sur les conflits d'intérêt, la sécurité des données bancaires et des affaires ou la polémique sur la corruption des élites sociales ne nous permettent pas de développer le détail). Prenons plutôt pour cible ces "souverainistes" comme Jacques Sapir et entrainons-les dans un faux débat où ergoter sur une causalité incertaine [3].

Donc parlons d’autre chose…
Egarons nos lecteurs sur de fausses pistes. Tiens parlons de nobles idéaux alter-mondialistes, sans tenir compte bien sûr de mécanique monétariste ni de régulation d’économie politique. Parlons de “lutte écologique”, Voilà! Saupourons tout cela de “Serge Latouche proposant de sortir de l’économie in abstracto”, de Mohammed Taleb “qui l’insère dans la lutte des classes” et concluons sur “le dépassement des rapports sociaux capitalistes” et "pensons le comme une transition"

Vive l’Economie politique avec Harribey! (que l’on préférait mieux avant). Cette rhétorique de l’esquive, de l’effacement nous laisse pantois et comme… atterrés!
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[1] Toutefois la formule serait encore incorrecte. Il faudrait préciser que l'épargne investie en fonds de placement type OPCVM constitue une quasi monnaie et qu'elle se trouve largement investie dans une "dette monétaire" qui concerne une monnaie en circulation émise contre créance (sur la base juridique de l'Obligation d'Etat) et non plus sur encaisse. Processus qu'Harribey dénonce par ailleurs comme redistribution financière des pauvres vers les riches.
[2] Voir L’origine de la crise : le monétarisme et école de Chicago
[3] Voir Sortir de quoi? À propos de la discussion sur la sortie de l’euro proposée par Jacques Sapir J.-M Harribey 28 avril 2011 .pdf

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